Tollens

[FR]

Ces images appartiennent à un monde englouti. Presque mort, peut-être. Un monde disparu.

Ce monde, ce n’est plus le nôtre, photographié, emprisonné par un capteur numérique le temps d’une fraction de seconde, mais bien celui des cartes SD : objets de stockage photographique abandonnés, délaissés. C’est dans cet inframonde que T.Kinder a eu l’idée de s’aventurer, dès 2014 et de créer un nouveau paradigme. Il y eut d’abord Exhumed photographs, puis An Egyptian Story.

Il ne s’agissait alors pas de se souvenir, ni de collecter des preuves. Encore moins de classer, de ranger des photographies. T.Kinder ne s’est jamais présenté en inspecteur, ou en gardien de nos mémoires. À partir de ce magma d’images récupérées sur les marchés de l’occasion, il tentait de retrouver un sens, la possibilité d’un chemin vers un nouveau flux d’images; où les couleurs, les formes et les micro-fictions, seraient enfin nécessaires pour raconter une histoire singulière.

Kinder offrait donc, à ces images prélevées de cartes SD, une nouvelle vie. Les images étaient arrachées à leur devenir d’artefact stocké, pour se transformer en véritables reliques d’un passé enfoui. L’artiste ne tentait pas de faire survivre ces images, mais au contraire de les faire revenir à la vie, les faire pénétrer dans un après (after-life).

Tollens se propose comme un hiatus, une étrange parenthèse dans le travail de T.Kinder. C’est une série de vingt photographies, rangées dans une pochette de papier numérotée. Malgré sa couverture trompeuse, les images sélectionnées ne s’inscrivent plus dans une histoire, à dérouler ou à feuilleter. Seule leur apparence laiteuse, blanchâtre, semble relier les images entre elles, les inscrire dans un tout homogène. Au premier regard, il serait d’ailleurs facile de n’y voir que du blanc : le blanc d’un papier non révélé, pas encore imprimé. Pourtant, ce sont bien ces traces de couleurs saturées, déposées ici et là dans l’espace du papier photographique, qui nous font pénétrer dans Tollens et nous révèlent la véritable nature de ces images.

On pourra y découvrir le visage d’une poupée ou d’une femme, selon notre interprétation ou notre humeur; une fête étrange; un drapeau flottant dans un brouillard artificiel, et des glitchs mélangés à d’autres erreurs tech- niques, sûrement humaines. Chacune de ces photographies nous rend plastiquement l’effet visuel d’un bruit de fond; d’une note triste et grave jouée à l’infini, dans un ailleurs, presque imperceptible. Les premiers travaux de Kinder proposaient de réincarner un monde disparu, ici il s’agirait plutôt d’en faire revivre les fantômes.

Si il n’y avait pas cet horodatage numérique, imprimé sur une des photographies, ou encore la marque déposée au dos du papier et surtout si on ne les touchait pas de nos propres mains, on pourrait croire que ces photographies appartiennent à un autre temps, un autre espace. Qu’elles n’ont pas été produites à partir du réel. Elles portent en elles la promesse d’un monde intangible qui nous serait enfin révélé. Mais finalement peu importe, car comme le suaire de Turin, dont elles rappellent aussi l’esthétique mortuaire, ces images n’ont pas vocation à être des preuves, des témoignages, elles sont une trace matérielle nous appelant à croire en un autre monde, existant par-delà le nôtre.

Ce monde, que nous offre à voir Tollens, pourrait aussi nous rappeler la tradition morale des Natures Mortes (Still- life). Le titre de la série, à consonance flamande, n’y est sûrement pas étranger. Et c’est bien cette photographie de crâne, incrusté dans la roche, enfoui sous les effets de surimpression de l’image, qui semble le mieux reformuler cette esthétique moraliste : Notre obsession à vouloir nous souvenir, n’est-elle pas que vanité ? Laisser une trace, enregistrer des vies qui semblent être les nôtres, quel salut cherchons-nous dans la survivance de la mémoire ?

Peut-être, trouverons-nous des réponses en nous perdant dans la blancheur numérique des photographies de Tollens et nous nous rappellerons que le seul souvenir qui nous est permis est celui de notre disparition.

Benjamin Klintoe



pochette : photocopie sur papier 90g et papier calque agrafé

intérieur : 20 tirages numériques couleur par sublimation thermique sur papier photo

taille de la pochette : 16 x 21 cm

taille des tirages : 15 x 20 cm

auto-production

20 exemplaires numérotés

Disponible à la librairie Yvon Lambert – 14 rue des Filles du Calvaire 75003 Paris

Communiqué de presse



[ENG]

These images belong to a submerged world. Almost dead, nearly a lost world.

This world is not ours anymore, snapped, captured by a digital sensor in a fraction of a second, but this world belongs to the SD cards: abandoned photographic memory cards. It’s in this underworld that T.Kinder decided to dive in 2014 and create a new paradigm. First, there were Exhumed photographs, followed by An Egyptian Story.

At the time, the preoccupation was not memory. Nor was it to collect evidence or to classify images. T.Kinder never pictured himself as an inspector, or a guardian of our memories. His attempt was, from this muddle of images, to find a way, the possibility of a path towards a new flow of images where colours, shapes and micro-fictions, would finally be necessary to tell a singular story.

Kinder offered these images collected from SD cards a new life. Taken away from their future of stocked artifacts to become real relics from a forgotten past. The artist was not trying to make these images survive but on the contrary to bring them back from the dead and enter to the afterlife.

Tollens is presented as a hiatus, a strange parenthèse in the work of T.Kinder. It is a series of twenty photographies, organized in a numbered paper sleeve. Despite this misleading first impression, the selected images are not part of a story to unroll or look through anymore. Only their milky, whitish appearance creates a link between them and creates consistency. At first sight, it would be easy to only see white: the white of an unprocessed, unprinted paper. However there is saturated trace of color here and there that let us penetrate into Tollens and reveal the real truth of these images.

We can discover the face of a doll or a woman depending on your interpretation and mood; a strange party; a flag flying in an artificial daze, glitches mixed with various technical mistakes, probably human-based. Each of these photographies give us the effect of a background noise; a sad low note played indefinitely, almost unperceivable. The first works of Kinder offered to reincarnate a lost world, here it is a question of bringing the ghosts back to life.

If we did not have digital time stamp printed on the photographies, the brand applied on the back of the paper and if we were not able to hold them in our hands, we could think these photographies belong to another time, another place; that they were not created from realness. They carry with them the pledge of an intangible world that would reveal itself to us at the end. Ultimately, it does not matter: because as the Shroud of Turin that reminds mortuary aesthetic, these images are not looking for the purpose to be proofs, testimonies. They are a material trace, inviting us to believe in an other world beyond ours.

This world that Tollens offers could remind us the tradition of still-life. The Flemish-sounding name of the series may reinforce this feeling. The rock inserted skull photography, buried under various superimposing effects translate the best of that moralist aesthetic: our obsession with memories isn’t it only vanity? Leave a trace, record these lifes that feels like ours. What are we looking for with the surviving of our memories?

Maybe we will find answers into the whiteness of Tollens’ photographies and we will remember the only memory that is allowed is the one of our disappearance.

Benjamin Klintoe



paper sleeve : black and white photocopy stapled with tracing paper

inside : 20 dye sublimation color prints on photo paper

paper sleeve size : 16 x 21 cm

prints size : 15 x 20 cm

self-production

20 numbered copies

Available at Yvon Lambert bookshop – 14 rue des Filles du Calvaire 75003 Paris

Press release